samedi 2 décembre 2017

Amandine (3)




On est restés un long moment, face à face, sans rien dire.
C’est moi qui ai fini par rompre le silence.
– T’avais raison, hein ! D’ici on entend vraiment tout ce qui se passe là-haut.
– Oui, oh, ben n’importe comment, pour pas entendre il aurait vraiment fallu être sourd. Vu comment elle a tapé !
– Et vu comment tu criais…
– J’aurais voulu vous y voir, vous ! Ça fait mal, une fessée.
– Je sais, oui, merci. En tout cas, avec la vie que vous avez menée, il y a pas que moi qu’ai dû entendre.
– C’est ce qu’elle pense aussi, Aurore. Oh, mais ils peuvent aussi croire que c’est la télé, les gens…
– Peut-être, oui.
– On s’en fiche, n’importe comment, de ce qu’ils pensent. Faudra bien qu’ils s’y fassent, de toute façon, si elle vient s’installer ici avec moi.
– Elle va venir ? C’est vrai ? Tu dois être aux anges, non ?
– Oui. Même si j’y crois qu’à moitié. Bon, c’est vrai que ça lui a plu chez moi « C’est drôlement mignon, dis donc ! » Mais, en même temps, elle m’a déjà promis tellement de fois d’y venir. Quand elle m’en a mis une, que je suis sur ses genoux, qu’elle me caresse, elle est complètement décidée. Ça va se faire. C’est pour bientôt. Mais dès le lendemain, elle en parle plus. Ou bien alors, si je remets le sujet là-dessus, elle dit qu’on verra, qu’on en reparlera. En fait, je sais bien ce qu’elle voudrait, c’est que j’aille habiter chez elle. Seulement ça, moi, c’est niet. Parce qu’il y a ses parents chez elle et que, si j’ai quitté les miens, c’est pas pour aller me coltiner les siens. Qui sont vingt fois pires. Même que ce soit une grande maison avec un jardin et tout le confort. Et une chambre avec un lit immense que t’as toute la place que tu veux pour t’y ébattre. Oh, mais vous savez ce qui nous y est arrivé, un jour, là-bas ? Faut que je vous raconte ça.
– Je suis tout ouïe.
– C’était un mois ou deux après l’histoire du vent sur le campus. Ils étaient partis en week-end ses parents. On avait la maison pour nous toutes seules du coup. Et on était bien décidées à en profiter. Alors, cet après-midi-là, on avait mis la musique à fond et elle m’avait flanqué, je sais plus pour quelle raison, une gigantesque fessée qui m’avait fait crier comme une perdue. Moi, après, j’adore voir l’état de mon derrière. J’ai toujours adoré ça. Comme il y avait, dans leur séjour, une grande glace en pied, je m’y suis précipitée. Et que je te prends tout mon temps. Et que je te me contorsionne pour me regarder les fesses sous toutes les coutures. Ah, ça avait marqué. Pour avoir marqué, ça avait marqué. D’un seul coup, machinalement, je relève la tête. La porte de la cuisine, juste en face, était ouverte. Et qu’est-ce que je vois ? Un type, accroupi devant le lave-vaisselle, qui, tourné vers moi, profitait allègrement du spectacle. Comment j’ai détalé ! Et couru me réfugier, affolée, auprès d’Aurore qui n’a jamais voulu me croire. « Un type dans la cuisine ! Ben voyons ! Et puis quoi encore ? » Mais elle est quand même allée voir. Au retour, elle riait tout ce qu’elle savait. « C’est monsieur Folier. Un voisin. Mon père lui a laissé les clefs. Qu’il vienne regarder le lave-vaisselle qu’a un problème. Sauf qu’il a oublié de me prévenir. Et qu’avec la musique on l’a pas entendu arriver. » Oh, la honte ! Qu’est-ce qu’il allait penser de moi, maintenant, ce monsieur Folier ? « Que tu te prends des fessées et, accessoirement, que t’es sacrément bien foutue comme fille. » Ça craignait quand même ! « Qu’est-ce t’en as à fiche, tu parles ! Tu le connais pas. Et tu le reverras jamais »

Sauf que je l’ai quand même revu. Un dimanche midi. Quelque temps après. J’avais bien remarqué qu’on avait mis deux assiettes en plus et qu’Aurore avait son petit air de quand elle m’en calcule une, mais j’étais à cent mille lieues de me douter que c’était lui qu’était invité. Avec sa femme.
– C’est effectivement le genre de situation…
– Qui te met pas vraiment à l’aise. Je pouvais penser qu’à ça. Et il savait que je pouvais penser qu’à ça. Pareil dans l’autre sens. En plus, t’avais Aurore qui s’en donnait à cœur-joie. Elle arrêtait pas de faire des tas d’allusions et de balancer des phrases à double sens. Qu’il y avait que nous trois qu’on pouvait comprendre, mais quand même !
– Il devait te tarder d’arriver au dessert.
– Tu parles ! Sur le moment, c’est sûr que t’as qu’une envie, c’est que ça finisse. Le plus vite possible. C’est après que tu commences à voir les choses autrement. Quand t’y repenses. Avec le recul, c’est plus si désagréable que ça finalement. Chaque fois, ça me fait pareil. C’est comme là.
– Comme là ?
Elle a froncé les sourcils.
– Non. Rien. Rien. Je vais y aller.
Mais elle est restée un bon moment plantée sur place. A semblé vouloir me demander quelque chose.
– Non. Rien.

Et elle est partie.

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