lundi 11 décembre 2017

La peste

John William Waterhouse Consulting the Oracle. Tate Britain.

Caïus fait la moue.
– Ça marchera jamais…
– Bien sûr que si !
– Tu crois ?
– Je crois pas. Je suis sûre. Allez, file ! Qu’elles te trouvent pas là en arrivant. Je t’appellerai, le moment venu.

– Bon, allez, tout le monde est là ?
– Il manque Julia. Elle viendra pas. Ça lui fait bien trop peur ce qu’ils vont dire les dieux.
– Et Octavie. Mais elle voudrait quand même savoir pour son bébé.
– Alors, on commence. S’il y en a qui ont des questions…
Elles en ont. Toutes.
– Est-ce que je vais enfin tomber enceinte ?
– Est-ce que mon père va guérir ?
– Mon mari, avec cette autre femme ?
– Mon voyage ? Ça se passera bien ?
– Et les élections pour Clodius ?
– Et mon fils ? Il sera décurion ?
– Holà ! Pas toutes en même temps. Sinon…
Elle s’assied sur ses talons, se concentre, les yeux clos, les mains bien à plat sur les genoux.
Elles se taisent. Les fumées de l’encens planent au-dessus de leurs têtes, en volutes entêtantes. Le silence se fait lourd. Compact. Une ombre passe sur son visage.. Elles échangent des regards inquiets. Une autre. De plus en plus inquiets. Elle fronce les sourcils, esquisse une grimace, semble contempler quelque chose, très loin, avec épouvante.
Antonia n’y tient plus.
– Il y a quelque chose qui va pas ?
D’un geste impérieux, elle lui intime l’ordre de se taire.
Elle se lève, s’approche du rideau sacré, tend l’oreille. Un long moment. Et puis se tourne vers elles.
– Les dieux ne veulent pas répondre à vos questions.
– Hein ? Mais pourquoi ?
– Parce que…
Elle hésite.
– Mais vas-y ! Dis-le !
– Parce qu’ils estiment qu’au regard des grands malheurs qui nous attendent, vos petites préoccupations sont dérisoires.
– Qui nous attendent ! Mais qui attendent qui au juste ?
– Nous tous…
– Et c’est quoi ?
Elle baisse les yeux. Et la voix.
– La peste.
– Comme sous Titus ?
– En pire. En bien pire. C’est par dizaines de milliers que se compteront les morts.
Elles crient, horrifiées. Elles se frappent la poitrine. Elles s’arrachent les cheveux.
– Mais pourquoi ? Pourquoi ?
– Les dieux sont profondément irrités contre les humains. Qui ont mérité, selon eux, un châtiment exemplaire. Attendez ! Chut ! Écoutez…
Elle hoche la tête, plusieurs fois, en signe d’assentiment.
– Ils disent…
Elle les fait attendre. Un long moment.
– Quoi ? Mais parle à la fin !
– Ils disent que la peste épargnera celles qui accepteront, de leur plein gré, un châtiment d’un autre ordre.
– Quel châtiment ?
– Le fouet. Vigoureusement administré par une main masculine. Celle de Caïus en l’occurrence.
Un long silence. Presque aussitôt suivi d’un immense brouhaha. Qui dure. Qui s’éternise. Qu’elle finit par interrompre.
– Les dieux attendent une réponse.
– Est-ce qu’on a vraiment le choix ?
– Si vous voulez rester en vie, non.
Elles ne veulent pas mourir. Ah, non ! Non… Elles vont en passer par là. Même si… Elles en passeront par là. Bien obligées. Elles le lui confirment. Toutes. Les unes après les autres.
– Ce sera quand ?
– Maintenant.
Leurs regards s’affolent.
– Maintenant !
– C’est à prendre ou à laisser.
Elles soupirent, se lamentent, supplient les dieux de leur accorder des délais.
– Ils s’impatientent. Ne les laissez pas changer d’avis…

C’est Livia qui commence. Elle laisse tomber sa toge. Lentement. Avec un profond soupir. Les autres suivent son exemple. Elles ôtent leurs vêtements. Tous leurs vêtements. Toutes. Toutes ensemble.

Elle passe la tête.
– Tu peux venir, Caïus. C’est mûr. Elles sont nues. À toi de jouer. Et ne les ménage pas !

Il surgit. Le fouet claque et s’abat en sifflant, avec force, sur la première croupe qui se présente. Celle d’Antonia.


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